Le rassissement de la viande
Une viande tendre est une viande rassise et, au même titre que le vin, elle doit avoir «le temps de se bonifier». Comme le maître de chai, lespécialiste de la viandes doit parfaitement maîtriser son produit de base, bien évaluer ses caractéristiques et, pour en tirer le meilleur parti, lui réserver des conditions de maturation idéales. Au sortir de l’abattoir, la viande est dure et peu goûteuse. Elle n’acquiert sa tendreté et sa saveur et ne devient un régal qu’à la suite d’une période de repos idéale.
Le secret d’une viande tendre à souhait
Attendrir la viande, un souhait vieux comme le monde. Certaines peuplades anciennes plaçaient à cet effet la viande sous la selle de leur cheval; les Indiens l’emballaient dans les
feuilles de certaines plantes, dont les enzymes dégradaient les protéines musculaires. De nos jours, pour offrir une belle viande tendre au consommateur, le spécialiste entrepose sa viande à bonne température durant une période appropriée.
La viande, c’est du muscle
Les muscles des animaux servent à la locomotion et ont développé à cet effet une structure particulière. Ce que nous avons l’habitude de nommer viande, c’est la masse de muscles striés recouvrant le squelette. D’une structure très élaborée, les muscles sont composés de cellules allongées et groupées en faisceaux enserrés dans une gaine de tissu conjonctif. De la graisse peut se déposer entre ces faisceaux musculaires; on la reconnaît à la marbrure de la viande. La proportion de tissu conjonctif varie selon les muscles et plus un muscle est actif, plus il contient de tissu conjonctif. La contraction s’effectue au niveau des myofibrilles, des protéines filiformes propres aux cellules musculaires. C’est le glissement de ces fibrilles les unes sur les autres qui provoque la contraction du muscle. Qui dit contraction dit travail et dépense d’énergie. Le muscle reçoit cette énergie du sang, qui lui fournit oxygène et molécules énergétiques; la décomposition de ces dernières libère l’énergie que le muscle transpose en mouvement.
La mort n’est pas une fin ...
Le processus biochimique ne s’arrête pas à l’abattage. Même en l’absence d’oxygène, le muscle parvient à dégrader les réserves d’énergie qu’il stocke notamment sous forme de glycogène, ce qu’il fait en produisant de l’acide lactique. Ces réserves épuisées, il se forme des liens transversaux entre les fibres et la viande devient rigide, selon un processus dont la rapidité diffère en fonction de l’espèce et des conditions d’abattage. Normalement réfrigérée, la viande bovine atteint le terme de ce processus en 36 à 40 heures, alors que la viande de porc l’atteint en 6 à 8 heures.
Le rassissement proprement dit est un processus intracellulaire qui débute immédiatement après l’abattage mais développe tout son effet pendant la phase de réfrigération de la
viande, à des températures de -1 à +2°C. Seule la viande à consommer fraîche est soumise au rassissement, processus qui se déroule en deux phases: au cours de la première, les réserves de glycogène sont utilisées et il se forme de l’acide lactique, qui abaisse le pH de la viande de 7,2 à 5,5; les fibrilles se lient entre elles, le durcissement de la viande
atteint son maximum. Dans la seconde phase, la structure des fibrilles se modifie sous l’influence d’enzymes qui dénaturent les protéines. La viande devient plus tendre. Le tissu conjonctif ne subissant pratiquement aucune transformation, c’est de la quantité et de la qualité de ce dernier que dépend surtout la qualité de la viande. Le faux-filet ne contient que peu de tissu conjonctif; s’il est bien rassis, il suffit donc de le rôtir brièvement pour qu’il soit tendre à souhait. Les pièces des quartiers de devant (ragoût, rôti) sont riches en tissu conjonctif; ce dernier ne se transforme en gélatine molle et digeste qu’à la suite d’une cuisson relativement longue.
Rassir la viande: une question de qualité et de prix
Température, pH et durée sont les principaux facteurs influençant la maturation de la viande. Température: si, entre le moment de l’abattage et celui de la rigidité cadavérique, la viande est refroidie trop vite ou trop lentement, les muscles se rétractent et la viande durcit; ce durcissement ne pourra être compensé ni par le rassissement subséquent ni par la cuisson. La transformation enzymatique dépend elle aussi de la température. Plus celle-ci est élevée, plus le rassissement est rapide. La viande, produit délicat du point de vue de la microbiologie, doit toutefois être refroidie le plus vite possible et conservée à basse température.
pH: il mesure la quantité d’acide lactique libérée par la décomposition du glycogène. Le muscle d’un animal vivant a un pH neutre d’environ 7,2, qui passe à environ 5,5 après 1 à 40 heures d’entreposage. Si cette acidité bloque la multiplication d’une grande partie des bactéries et permet aux propriétés gustatives souhaitées de se développer, elle fait toutefois perdre à la viande sa capacité de fixer l’eau (75% du muscle frais). Selon la rapidité de modification du pH, la viande perd ainsi plus ou moins d’eau. La dénaturation progressive des protéines fait légèrement remonter le pH et la viande retient de nouveau mieux son eau. Durée: la maturation, qui permet de produire une viande tendre et hygiéniquement impeccable, exige du temps. C’est au cours des 7 premiers jours surtout que la viande s’attendrit; par la suite ce processus se ralentit. De nos jours, la maturation se fait habituellement sous vide et sous film plastique; on peut en varier la durée en fonction de la pièce considérée, avec des pertes de poids minimes et une grande simplicité de manutention. La maturation en quartiers ou en moitiés, au crochet, a pour ainsi dire disparu, même si les maîtres queux estiment à l’unanimité que rien ne peut égaler le moelleux d’un filet maturé d’un seul tenant. Mais, normalement, l’acheteur ou le client du restaurant n’est plus prêt à payer le supplément de prix qu’impliquent un volume de chambre froide supérieur, un refroidissement plus onéreux ainsi que les pertes de poids et les pertes au parage qu’entraîne une plus longue maturation de la viande.
Plus tendre encore: de l’étal à l’assiette
La congélation bloque la maturation. Après décongélation toutefois, celle-ci reprend de plus belle; gel et dégel modifient en effet la texture de la viande et facilitent la pénétration des enzymes. On peut une nouvelle fois accélérer le processus de rassissement en cuisine. Ainsi, le fait de battre la viande pour l’attendrir est un procédé traditionnel, qui déstructure mécaniquement la masse musculaire, tout comme l’attendrisseur. Les marinades rendent également la viande plus tendre et plus aromatique. La cuisson met un point final à la maturation. Néanmoins, lorsque la viande est cuite à coeur à 45°C, le processus de maturation subit une forte accélération et la viande s’attendrit considérablement, en quelques heures seulement. Les cuisiniers connaissent bien ce phénomène que décrivent nombre de vieux livres de cuisine. On réservait alors la viande cuite à 45°C pendant quelques heures au chaud avant d’achever sa cuisson. Cuite ainsi, la viande ne devient toutefois pas aussi goûteuse qu’après maturation à basse température, car les molécules odorantes ne se forment qu’au cours de l’entreposage et du processus de rassissement. Pour lui donner le goût de rôti caractéristique, il faut encore remettre la viande un moment au four. Etant donné l’importance de l’activité enzymatique, la méthode ne peut toutefois être recommandée que pour la viande non rassise. On court sinon un risque de surmaturation et d’acidification. Pour que la viande soit un régal, de nombreux spécialistes doivent lui donner le meilleur d’eux-mêmes, de l’élevage et de l’affouragement des animaux à leur transport à l’abattoir, à la maturation et au stockage de la viande jusqu’à la préparation correcte en cuisine.
Source http://www.schweizerfleisch.ch/fileadmin/Dokumente/Gastronomie/2_fr._le_rassissement_de_la_viande.pdf